Un long poème… d’amour

Article : Un long poème… d’amour
Crédit: papiersetc
11 août 2024

Un long poème… d’amour

A la mesure de la défaite. Aux rues métissées qui arrachent les branches impardonnables. Aux fenêtres invertébrées radotant ce pays fou. Aux fards qui oublient leurs béquilles, aux couleurs naufragés, pâles, sur la bouche. A ce chant rouillé, le torse truffé de cartouches les unes plus belles que les autres. A ce refrain qui donne son pubis à l’urgence et qui part en courant la main dans l’énigme. Aux égouts qui ne ferment la bouche que pour mieux avaler nos soleils. Je n’ai pas mieux que ces dédicaces pour jeter un poème sur la toile. Rassurez-vous, c’est un poème d’amour. Ici, on aime à mort. La preuve, on tue au lever du jour, en rayant au passage le chant du coq. On tue à la nuit tombée, pour répandre pelure d’étoile dans la paume des enfants que l’on raconte un pays qui n’a pas survécu à la naissance. Ici, on pardonne guère à la vie. On tue pour la syllabe fermentée. Pour la cloche qui bâille on tue. On tue comme on efface une faute d’orthographe. Tuer est devenu un réflexe d’homme. Un geste à faire incessamment. Ici, on pardonne guère à la vie. Ah la vie! Cette saison vorace qui n’a jamais trouvé bonne pointure. On m’a pourtant dit qu’elle est plus belle cette rature. En faite, elle l’était. J’ai raté le pays. Alors j’invente. Un pays qui pousse sur du papier blanc, sa chute à portée de main. Des hoquets sans fémurs, sans sabots, avec des pieds fins, prêts à décapiter mes blessures. Ses blessures qui me tiennent compagnie. Un pays sans pâturage. Vol d’oiseau et versets invalides à hauteur d’homme. Des morceaux d’ombre qu’on arrache aux arbres pour mesurer le silence de la faille en sourdine. Eux ils s’en vont. Ils s’en vont pour le poème sans coït d’une autre terre. Ils s’en vont pour se vanter d’avoir mordu la houppe assez longtemps pour berner la douleur. Ils s’en vont pour mieux mourir. Rire. Pleur. Soupir. Soupir. Pleur. Rire. J’ai raté le pays. Alors j’invente. J’invente des morceaux de nuit au creux de ma main pour oublier les dédales du jour. Je tricote des bouts d’île sur tout hasard étoilé qu’on pourrait rencontrer sur la route. Et des colibris viennent s’asseoir, leur vol d’oiseau à la main, pour m’aider à suturer mes blessures. Les seuls amis que j’ai depuis bien trop longtemps.

La vie est un passage entre deux allumettes. Mon pays est un passage entre deux allumettes. Et ceux qui s’y trouvent, par erreur ou par hasard, comme dirait l’autre, ne font que passer. Qui pourrait choisir de se trouver ici ? Qui choisirait de passer par-là ? Délires. Idiotie. Personne ne choisirait ce pays pour vivre, ou même pour passer. Et ils passent vite. Et ils prient pour passer vite. Seuls les cris mouillés, seule l’ombre au front plissé, seul le miroir qui pointe du doigt pour démentir l’érection du soleil, seuls des mains quelconques, parce que la poussière a fait un grand détour par leurs danses bossues, eux seuls habitent ce pays avec certitude. Personne d’autre ne prend cette terre comme prétexte. Tous, ils passent, ils passent vite. Ou bien ils sont certains de passer ou de ne plus vouloir rester.

Un poème d’amour n’est pas forcément un collier d’herbe frais posé sur la marge. Un poème d’amour n’est pas seulement murmure brûlé au bout des doigts. La gentillesse des dieux dans un matin sans profil m’a tellement rebondis à la face. Alors j’ai essayé de poindre ma part d’opprobre aux quatre coins de l’indécence du miroir. Et j’ai reçu en pleine face ce que l’atome a lynché au croisement de l’ultime vacarme. Un poème d’amour… qui n’en est pas un.

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