L’inconnue de la bibliothèque

Article : L’inconnue de la bibliothèque
Crédit: Skynesher, pixabay
29 juillet 2024

L’inconnue de la bibliothèque

Avez-vous jamais fait une pause pour regarder à côté de vous, pour jeter un simple coup d’œil et vous reconnaître en quelqu’un? Vous connaissez-vous assez pour vous apprécier dans l’autre? Je me suis souvent dis qu’elle est stupide la vie, et je maintiens que la vie est stupide. Néanmoins, un détail, un simple détail peut tout changer. Illusion peut-être, qui sait? Une personne, un jour, un lieu, un livre, un regard, une peau noir, un rien peut vous faire ralentir et apprécier ce qu’il y a de mieux entre la parenthèse. Et ça aura le mérite de vous faire regarder d’une autre façon. Je vous parlerai sans doute d’une inconnue dans ce papier. Mais peut-être qu’en réalité, au fond, je vous parlerai de moi.

Jour 1

J’avais dans ma main ce roman « Les jumelles de la rue Nicolas ». Ah cette femme! Ah ce livre! A travers cette quête d’identité, le fait de se retrouver dans l’autre, elle nous guide, nous perd en chemin, et nous retrouve au bout du récit avec ces deux marasa. A côté de moi, elle était là, les yeux rivés sur un bouquin volumineux qui portait pour tout titre « My life ». Et elle n’a presque jamais levé la tête. Deux bagues à la main gauche, l’une à l’index, un papillon, l’autre à l’annulaire, une bague dans le pouce de la main droite, un pendentif à son cou, elle secouait ses pieds, move mès dirait ma mère. Sa peau était lisse, je l’sentait. On sent quand une peau est lisse. Elle avait pour toute rature une paille blanche sur son bras gauche. Pendant un moment, je me suis dis qu’il fallait qu’elle l’enlève, elle devait être parfaite. Et puis j’ai immédiatement compris que cette tache devait rappeler la faille, l’imperfection, ce qu’il y a d’humain dans ce tableau tellement parfait. Et ses yeux la plupart du temps rivés sur ce qu’elle lisait, et mes yeux la plupart du temps rivés sur elle. Elle me parlait dans l’indifférence de son corps. Elle me racontait.

Jour 2

Page de couverture de Anthologie secrète, Carl Brouard, CP: Papiersetc

Simple, sans bague à ses doigts, seulement ce pendentif à son cou. Devant elle, son PC, acer comme le mien ,son Androïd à la main. Elle riait. Elle riait en fixant l’écran de son téléphone. Elle riait, comme quelqu’un qui avait épuisé un cursus « comment rire avec grâce ». Elle riait et ça m’agaçait un peu de ne pas savoir ce qui la faisait rire ou bien parce que moi même je ne riais pas. J’étais un peu enchanté parce que je ne pouvais pas savoir ce qu’elle lisait. On lit souvent ce qui nous définit ou ce qu’on veut qui nous définisse, et je ne devais savoir rien d’elle. Elle devait rester l’inconnue de la bibliothèque. « Ou ka ban m on ti leu svp »? « E pa nan chaj ou ta pral met laptop ou? » Deux questions. Et j’ai répondu. Rien de plus. L’inconnu est parfois excitant. L’orsqu’on connaît la fin du film, on n’s’y intéresse plus. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles je n’aime pas regarder un film avec ma mère. Elle veut toujours savoir la fin avant la fin. Ah les grandes personnes! Elles anticipent et gâchent tout. Quand j’étais gamin, le voyage était toujours plus intéressant que la destination. J’aime pas les enfants, rassurez-vous. Je les déteste même, et pas qu’un peu. Mais ils sont bien à être ce qu’ils sont, des êtres miniatures qui s’en foutent, qui n’ont d’occupations que de s’en foutre et de vivre l’extase d’un voyage plus que l’envie d’en arriver à la fin. Alors j’ai pas suivi ce courant. Je n’ai rien dit de plus. Et j’ai continué à feuilleté les pages de l’Anthologie secrète qui était dans ma main.

Jour.s autre.s…

Je ne me suis pas assis à côté d’elle ce matin-là. Mais j’ai gardé un œil sur elle. Et tous les autres matins étaient comme ça. Elle était là, j’étais là, nous étions là à partager l’espace, à partager les chuchotements, à partager le bruit de la porte qui grinçait pour laisser rentrer ou sortir un enfant, un ado, pour laisser passer ce couple heureux qui voulait sans doute se retrouver quelque part où ils pourraient être seuls pour s’embrasser, se serrer l’un contre l’autre pour ne rien laisser passer entre leurs corps. Nous étions là à partager ces tables qui abritent les livres, leurs histoires de jumelles et de « life », les rues Nicolas, les silences. Nous étions là à partager ce pays, morceau de terre et de quotidien à poils dans le bas-ventre d’un lieu suffocant. Parce qu’en réalité tout est une question de partage. On partage nos pas et nos lieux pour aller vers la grande chute.

Quand je vous parle de vous, je vous parle de moi…

Nous sommes tous des inconnus, des anonymes. Voilà ce que nous partageons tous. Un matin, je me suis réveillé et j’ai commencé à regarder les gens qui passent. Tous ils avaient en tête d’aller quelque part, de faire quelque chose, d’utile dira-t-on, en tout cas sur le coup ça l’était ( c’est toujours utile sur le coup). Et tous ils se ressemblaient dans leur quotidien. A ne pas sourire, on rate l’essentiel, et ils ne l’ont sûrement pas compris. Alors le lendemain, je me suis dis que j’allais passer ma journée à penser à quelques détails. Lire un roman, un recueil de poèmes c’est se balader. L’inverse est aussi vrai. Rencontrer quelqu’un, c’est lire un bon livre et se balader en même temps. J’ai rencontré cette magnifique personne qui m’a fait tomber amoureux de quelque chose qui est peut-être plus grand que la vie. Le monde est inconnu. Et tous nous partiront un jour en le laissant inconnu de lui même. Alors avant la dernière danse, le dernier regard, le dernier pas du nuage gris, peut-être qu’il faudrait qu’on fasse une pause, qu’on rencontre un.e inconnu.e et qu’on aide le monde à se connaître un peu plus. Et peut-être, qu’on devrait prendre le temps de nous retrouver dans l’autre. Parce que tous nous partageons ce détail du monde. L’inconnu.

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Commentaires

L'inconnue
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J'ai rencontré cette magnifique personne qui m'a fait tombé amoureux de quelque chose qui est peut-être plus grand que la vie...

J'ai aimé lire ces quelques paragraphes me concernant.
Tu écris vraiment bien.